Une branche basse lui fouette la gueule mais il accuse le coup sans ralentir. Ce n'est qu'une douleur de plus dans le flot qui harcèle son corps contrit par la fatigue. Il se donne un court élan, quelque chose lui cisaille un peu plus un coussinet et il devine laisser une trainée de sang derrière lui. Il ne s'arrête pas, il n'a pas le temps. Le prédateur est devenue proie et son instinct lui ordonne de fuir. Le pelage plaqué à son épais corps par la sueur et l'humidité de la nuit, il déboule entre deux fourrés, la langue pendante de sa gueule.
Un coup de feu se fait entendre. Il sursaute, fait un bond sur le coté, entend distinctement le bruit de l'impact qui soulève une gerbe de terre et son arrière train le projette en avant violemment. Il souffle fortement et risque un coup d’œil en arrière. Pas suffisamment loin à son goût, il voit les lumières vives qui tranchent l'obscurité et il entend les hurlements d'agonie des arbres rencontrant les géants d'acier. Le Prédateur attaque la Nature et le fuyard n'est pas capable de la défendre. Son estomac se serre, se sachant inutile envers celle que son peuple adore. Une autre détonation et la balle siffle, l'effleure et se fiche dans l’écorce d'un arbre qui gémit.
Il est le dernier debout. Il est le dernier à fuir. Il est le dernier à participer à cette chasse où les rôles sont inversés, allant contre la volonté même de la Nature. Il a une pensée pour les corps ensanglantés des siens et le vain espoir qu'un autre court, comme lui, pour échapper à la Chasse-sans-fin.
Il efface ses pensées sombres pour se reconcentrer.
Il ne connait pas cette partie de la forêt, ses pattes et la meute ne l'ont jamais porté aussi loin pourtant la nature lui chuchote toujours aux oreilles. Il se perd un instant dans ce flot de paroles, distrait et ne voit pas arriver la faille. Il dérape, ses pattes accrochent un peu plus de boue mais il est déjà trop tard pour ralentir et il se retrouve projeté en contrebas, à découvert.
Il se relève et ses pattes tentent de se dérober sous lui. Ce n'est que la panique qui lui permet de rester debout quand les éclairs lumineux des monstres d'acier viennent blesser ses yeux. Il le sait, son instinct tout entier lui crie. S'il s'arrête, ca sera sa dernière course. Alors il baisse ses yeux face à la lumière brûlante, accepte un instant de ravaler sa fierté, dévoile les crocs sous la fureur et tourne le dos, fuyant comme un lâche. Son honneur taché par la honte de son geste, il bondit pour tenter de retrouver une zone couverte.
Un nouveau coup de fusil.
Une douleur vive.
Une prière à la lune.
Un bruit mat de corps qui tombe.
Noir.
*
* *
Ses oreilles frémissent. Un vrombissement incessant.
Il tente d'ouvrir les yeux, le noir total.
Sa truffe remue doucement. Il la sent enfermée dans un étau froid.
Il scrute l'obscurité. Aucun mouvement, mais le sol est dur, égal et froid. Quelque chose ne va pas... Mais tout lui échappe. Le sol est pris d'un cahot. Ses griffes glissent sur le sol trop lisse. Son corps frappe contre un obstacle solide.
Sa tête lui semble tellement lourde.
Ses yeux se referment.
Dim 3 Oct - 0:18